Les plaines d'Abraham en Nouvelle-France
Lors de ses expéditions dans le Saint-Laurent au 16e siècle, Jacques Cartier s’intéresse aux ressources qu’offre le monde qu’il explore Il recherche bien sûr des métaux ou des pierres précieuses, mais il porte également un intérêt particulier aux arbres et aux plantes qu’il trouve à l’extrémité ouest du promontoire de Québec.
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Au siècle suivant, Louis Hébert, premier colon de la colonie, s’intéresse également à la flore du Canada. Apothicaire de métier, il procède à quelques expériences sur ses terres et affine ainsi ses connaissances des herbes et des plantes dans le but de préparer des remèdes efficaces contre diverses maladies. Son expertise en ce domaine amène d’ailleurs Champlain à lui confier la responsabilité de l’acclimatation de pommiers transplantés de Normandie. C’est aussi probablement lui qui, directement ou indirectement, fournit des plantes canadiennes à Jacques Cornuti, homme de science de la faculté de médecine de Paris, qui publie en 1635 un ouvrage intitulé Canadensium Plantarum, Aliarumque nondum Editarum. Il s’agit du premier livre de plantes du Canada dans lequel près de 80 espèces ou variétés de plantes y sont décrites.
L’actuel site des plaines d’Abraham a constitué un terreau propice aux expériences des naturalistes. Au 17e siècle, il a été parcouru par les plus grands savants en lien avec les instituts européens, notamment l’Académie royale des sciences de Paris. Parmi eux, trois ont particulièrement marqué l’histoire des Plaines.
Chirurgien, médecin et botaniste, Michel Sarrazin séjourne une première fois en Nouvelle-France de 1685 à 1694 à titre de chirurgien de la marine. Après trois années passées en France, il s’établit définitivement dans la colonie en 1697. Ses terres du fief Saint-Jean comprennent alors, selon toute vraisemblance, une partie de l’actuel parc des Champs-de-Bataille. Pendant plus de vingt ans, Sarrazin envoie des spécimens de plantes et de bulbes au nouveau Muséum d’histoire naturelle de Paris. Reconnu comme un des premiers botanistes canadiens, il laisse à sa mort, en 1734, près de 175 ouvrages, dont le populaire Catalogue et histoire des plantes du Canada.
À la mort de Sarrazin, le poste de médecin du roi reste vacant jusqu’à ce qu’il soit octroyé à Jean-François Gaultier en 1742. Médecin et botaniste, ce dernier continu en quelque sorte l’œuvre de son prédécesseur. Pour ce faire, il reçoit la collection de livres laissée par Sarrazin à son décès de même que son manuscrit de 200 pages, Histoire des plantes du Canada, rédigé en 1707. Comme lui, Gaultier est en contact constant avec les savants de l’Europe et envoie continuellement des bulbes et des plants à la mère patrie. Il procède de plus, à la demande de Roland-Michel Barrin de la Galissonière, gouverneur de la Nouvelle-France, à l’inventaire complet des plantes du Canada.
Installé à la Haute-Ville, Gaultier connaît vraisemblablement très bien les ressources qu’offrent les Plaines. Pour soigner ses patients de l’Hôtel-Dieu, il utilise par exemple l’une de ses sources d’eau minérale qui contient de l’oxyde de fer ou encore l’une de ses variétés de thé des bois. C’est aussi lui qui sert de guide au célèbre et très réputé botaniste suédois Pehr Kalm lors de sa visite en 1749. Travaillant conjointement, les deux scientifiques parcourent les hauteurs de Québec et trouvent des spécimens de plantes jusqu’alors inconnus. Ces découvertes sont consignées dans un manuscrit que Kalm prépare, mais qui reste inachevé. On compte néanmoins dans son journal au moins une quarantaine d’espèces nouvelles que le savant localise probablement sur l’actuel site des Plaines. Parmi elles, trois sont nommées en l’honneur de ses collègues et de ses prédécesseurs: la première, le thé des bois, prend le nom de La Gaulthiera en l’honneur de Jean-François Gaultier; la seconde est nommée Sarracenia purpurea pour commémorer la mémoire de Michel Sarrazin; la troisième prend le nom de Galissoniera en l’honneur de l’ex-gouverneur Roland-Michel Barrin de la Galissonière, homme savant et passionné de sciences naturelles.
Parallèlement à l’étude de la flore, Kalm et Gaultier s’intéressent également à d’autres domaines scientifiques: géologie, météorologie et astronomie. Les deux savants étudient les schistes caractéristiques du fond de terrain des Plaines de même que la colline rocheuse sur laquelle est construite la ville de Québec. Gaultier procède à des expériences météorologiques en faisant notamment des relevés de température quotidiens. Kalm, quant à lui, mesure probablement à partir des Plaines les variations entre le nord réel et le nord magnétique et peut ainsi fixer avec précision la localisation de Québec.
Chacun à leurs façons, explorateurs et savants comme Jacques Cartier, Louis Hébert, Michel Sarrazin, Jean-François Gaultier et Pehr Kalm ont su explorer et exploiter les hauteurs de Québec et, ce faisant, contribuer au développement des sciences. Bien avant sa création, le parc des Champs-de-Bataille était déjà reconnu pour l’abondance et la diversité de ses ressources naturelles de même que comme lieu de prédilection pour mener des expériences scientifiques.
Habitation et occupation des plaines d’Abraham
Espace naturel trônant fièrement au haut du cap Diamant, les plaines d’Abraham ont été depuis la fondation de la ville un espace prisé par ses habitants et ses dirigeants. Aujourd’hui lieu de rassemblement, de détente, d’interprétation et de divertissement, ce site a eu plusieurs vocations. Faisant partie d’un ensemble plus grand que l’on nomme le promontoire de Québec, ces terres ont servi, sous le régime français, de pâturage pour le bétail, pour la culture de certaines céréales de même que pour l’établissement de colons. Or, avec la prise de la ville par les Britanniques, les Hauteurs, et particulièrement sa partie sud, c’est-à-dire l’actuel site des Plaines, ont été convoitées par les militaires pour des raisons stratégiques.
1608-1759
L’occupation des Plaines sous le régime français
Les premières concessions de terres sur le promontoire de Québec remontent au 17e siècle. Celui-ci est divisé en deux par la Grande Allée, chemin qui relie Québec à Cap-Rouge. La partie nord est principalement occupée par des colons de groupes sociaux inférieurs, tandis que la partie sud, soit notamment l’actuel site des Plaines, l’est par l’élite de la société.
Parmi les premiers occupants des Plaines, on compte notamment la famille Sevestre. Dès 1640, six des huit terres concédées sur le territoire compris aujourd’hui entre les remparts et les tours Martello appartiennent à cette famille de maîtres imprimeurs-libraires. Quittant Paris vraisemblablement pour fuir les persécutions du pouvoir royal hostile à certaines de leurs publications, Charles, Thomas et Jacques Sevestre, accompagnés de leur mère, s’établissent sur les Plaines. Charles est le seul à avoir des enfants: deux fils et cinq filles. Ce ne sont toutefois que ces dernières qui assureront la descendance de la famille.
À la mort de Charles, une dispute s’élève entre les héritiers quant au partage de ses biens, notamment concernant une partie de la concession des Plaines. Plutôt que de la diviser, les parties s’entendent pour la laisser intact et la tirer au sort pour savoir à qui elle reviendra. Le hasard favorisa Catherine Sevestre et son mari, Louis Rouer de Villeray.
Louis Rouer de Villeray descend d’une famille de petite noblesse italienne. Débarqué en Nouvelle-France vers 1650, il exerce différentes fonctions administratives avant de devenir en 1663 premier conseiller au sein du Conseil souverain, soit le quatrième personnage en importance dans la colonie après le gouverneur, l’intendant et l’évêque. Héritant du fait de son mariage de plusieurs terres sur les Plaines, Rouer de Villeray s’affaire à agrandir son domaine. Suivant divers achats et diverses concessions, il possède vers 1660 un immense fief aux portes de la ville et sur le plus beau site de Québec. Il nommera d’ailleurs ce domaine « la Cardonnière ».
À la mort de Rouer de Villeray, c’est son second fils, Louis Rouer d’Artigny, qui hérite en 1701 du domaine. Celui-ci le démembrera entre 1720 et 1740, d’abord par obligation puisque les autorités coloniales désirent ériger une nouvelle ligne de fortification, puis par la suite peut-être pour en tirer quelques revenus. Louis Rouer d’Artigny meurt célibataire en 1744. Les terres de la Cardonnière seront par la suite regroupées à nouveau dans les années 1750 par l’herboriste Hubert-Joseph Lacroix.
Outre les Sevestre et les Rouer de Villeray, d’autres occupent également des parcelles de terres sur les Plaines. À l’ouest des Sevestre et, plus tard, des Rouer de Villeray, on trouve dans un premier temps les Augustines hospitalières de l’Hôtel-Dieu. Entre 1668 et 1702, celles-ci acquièrent quatre terres contigües localisées à l’emplacement actuel du Musée national des beaux-arts et de l’ancienne prison. Elles ne les exploitent pas directement, mais les louent à bail à divers preneurs qui les utilisent principalement pour faire paître le bétail. Un siècle plus tard, ces terres sont toujours offertes en location. Leur vocation a néanmoins changé. Les terrains attirent maintenant les gens de professions libérales qui établissent leurs résidences le long de la Grande Allée, de même qu’ils servent aux loisirs de l’armée. Parmi ces personnes, on trouve notamment la fille du grand voyer, un avocat, un étudiant en droit, le directeur de l’Office des billets d’armée et Joseph Tardif, gardien de la maison de justice à Québec.
À l’ouest du domaine des religieuses, c’est-à-dire ce que l’on nomme aujourd’hui le terrain des sports des Plaines, ce sont des familles de colons qui occupent au 17e siècle des terres d’environ un à un arpent et demi de front, allant de la Grande Allée jusqu’au fleuve. Pour n’en nommer que quelques-uns, on compte Marie Langlois, Zacharie Maheust dit Point-du-Jour, Jacques Maheust, Jean Côté, Jean Normand, Gervais Normand et son épouse, Antoine Brassard, Père de Noël Pinguet . La plupart se servent de ces terres comme espace pour faire paître le bétail. Rares sont ceux qui y habitent. À partir de 1668, les Ursulines regroupent progressivement ces terres. En 1737, elles déclarent posséder 10 arpents de front par 10 de profondeur. Ces terres donneront aux Ursulines une certaine indépendance face aux aléas du marché quant à leur approvisionnement.
Sources partielles :
Jacques Mathieu et Alain Laberge, «À l’époque de la Nouvelle-France », dans Jacques Mathieu et Eugen Kedl dir., Les plaines d’Abraham: le culte de l’idéal, Sillery, Septentrion, 1993, p. 55-60.
Jacques MATHIEU et André DAVIAULT, Le premier livre de plantes du Canada. Les enfants des bois du Canada au Jardin du roi à Paris en 1635, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1998, p.194.
Images :
Vue de la ville et du bassin de Québec, James Peachey, aquarelle et plume et encre sur crayon sur papier, 1784. Bibliothèque et archives Canada
Habitante du Canada, XVIIème siècle, Charles Huot, aquarelle sur papier, 1908. Commission des champs de bataille nationaux.
Habitante XVII siècle, Charles Huot, aquarelle sur papier, 1908. Commission des champs de bataille nationaux.
Michel Sarrazin. Pierre Mignard, huile sur toile, Musée McCord Stewart
Sarracénie pourpre, [Sarracenia purpurea]. Ariane Giguère, photographie, Commission des champs de bataille nationaux.
Gaulthiera couchée, [Gauthiera procumbens]. Ariane Giguère, photographie, Commission des champs de bataille nationaux.
Bourgeois, bourgeoise et femme de qualité à la mode de 1665, Charles Huot, aquarelle sur papier, 1908. Commission des champs de bataille nationaux.