Le jardin Jeanne-d’Arc 

Témoin d’une longue tradition horticole

Écrin imprévu pour une statue qui lui a donné son nom, le jardin fait la fierté des Plaines et accueille les personnes passionnées d’horticulture depuis 1938. 

Dans cette page :
Journal Le Droit, 27 avril 1938
Le don comprend la statue elle-même, le socle, la base et les rails d’installation. La commission que préside Sir Georges Garneau accepta la statue le 2 septembre dernier. On décida de la placer à l’écart de la partie historique du parc […] pour contourner les objections soulevées à ce sujet.

Une statue de Jeanne-d’Arc qui force la création d’un jardin  

Dans les années 1930, un couple d’Américains fait le don d’une statue à la Commission des champs de bataille nationaux. L’œuvre massive représente Jeanne d’Arc portant une armure, à cheval, son bras levé tenant une épée. Un cadeau imposant, qui signifie qu’il faut trouver un emplacement pour la statue et son socle pesant plus de 30 tonnes. 

Lorsque sont annoncés le don d’une statue équestre de Jeanne d’Arc et l’intention de la Commission d’aménager un jardin pour lui servir d’écrin, tous ne sont pas d’avis que ce projet a sa place sur le site des batailles. Certains voient d’un mauvais œil le fait de présenter à Québec cette héroïne française et ce qu’elle signifie. En effet, cheffe de guerre durant la guerre de 100 ans, Jeanne d’Arc aurait contribué à libérer le territoire français du joug britannique. 

Journal Le Droit, 27 avril 1938
M. J.— S. Woodsworth, chef du parti C.C.F. [parti politique fédéral], s’est objecté vigoureusement, hier après-midi, contre l’érection d’une statue équestre de Jeanne d’Arc sur les champs de bataille à Québec. Cette statue est un don de M. et Mme A.— W. Huntingdon, de New York.

[Note : les initiales de la citation ci-haut devraient être A.-M. pour Archer Miller Huntingdon]

L’emplacement idéal pour installer la statue de même que la justification pour accepter un tel don font l’objet de nombreuses discussions. Au Parlement canadien, les débats sont animés. Plusieurs députés ne comprennent pas pourquoi on devrait accepter d’installer sur les plaines d’Abraham une œuvre représentant un personnage historique n’ayant aucun lien avec l’histoire du lieu. Il est finalement décidé de créer un jardin autour de la statue, un peu à l’écart des plaines d’Abraham, pour calmer les ardeurs des adversaires.  

Le parc des Champs-de-Bataille, créé il y a à peine 30 ans, vise à commémorer les batailles entre Français et Britanniques et à préserver les plaines d’Abraham pour les générations futures comme lieu témoin du destin conjoint des deux nations. Pour être cohérent avec cette mission, il est décidé d’inscrire sur la base de la statue une inscription contenant les mots suivants : « Comme emblème du patriotisme et de la vaillance des héros de 1759-1760 ». C’est ce patriotisme qui justifie la présence de l’héroïne française sur le parc des Champs-de-Bataille de Québec. En septembre 1938, le jardin est déjà inauguré.

Sculpteure américaine amoureuse de Québec 

Anna Hyatt Huntington

L’étincelle qui a forcé à imaginer ce jardin est donc le don par Anna Hyatt Huntington et son mari, à la Commission des champs de bataille nationaux, d’une sculpture. Le couple américain serait tombé amoureux de la ville et de son charme patrimonial lors de son voyage de noces. L’offrande de la statue en est le témoignage; il aurait voulu, à l’origine, demeurer anonyme. Le secret semble avoir été de courte durée, puisque plusieurs journaux de 1938 nomment les généreux donateurs. On y apprend également que c’est nulle autre que Anna Hyatt Huntington, elle-même, qui a sculpté la statue.

Née en 1876 au Massachusetts, Anna Hyatt a une carrière remarquable d’artiste à une époque où peu de femmes ont un tel succès. Elle se spécialise dans les sculptures qui incluent des animaux, et étudie avec attention leur anatomie. Sa première œuvre publique, une statue de Jeanne d’Arc identique à celle des Plaines, est érigée à New York en 1915. D’autres répliques se trouvent en France, aux États-Unis, et évidemment, à Québec.  

Elle épouse Archer Milton Huntington en 1923. Elle continue sa pratique artistique et partage son studio avec plusieurs autres femmes artistes. Anna Hyatt Huntington était une artiste reconnue, membre de plusieurs regroupements, comme la National Academy of Design (Académie nationale de Design des États-Unis) et la National Sculpture Society (Société nationale de sculpture) aux États-Unis. Elle est également la première femme sculpteure à être membre de l’American Academy of Arts and Letters (Académie américaine des arts et lettres). 

Un jardin imaginé par Louis-Joseph Perron 

Louis-Joseph Perron, sur les compétences de l’architecte paysagiste
L’architecte paysagiste [doit] être un dessinateur, un architecte, un ingénieur, un botaniste, un historien, un urbaniste et un géographe.

L’architecte paysagiste responsable de la conception du jardin Jeanne-d’Arc est Louis-Joseph Perron. Il est le premier architecte paysagiste québécois francophone ayant une formation universitaire. En effet, il est fraîchement diplômé de l’Université de Cornell, dans l’état de New York aux États-Unis, lorsque la Commission le charge de concevoir le jardin Jeanne-d’Arc. Mais il ne faut pas se méprendre, il a déjà une très bonne connaissance des plantes et de leur aménagement. Il est issu d’une famille dont la renommée horticole n’est plus à faire. Son père est nul autre que Wilfrid-Henri (W.H.) Perron, grainetier dont l’entreprise de semences existe toujours aujourd’hui.

Thomas Chapais, discours d’inauguration du jardin, 1er septembre 1938
Patriotisme et vaillance ! […] par le bronze et le granit, ce monument est la glorification de l’héroïsme, incarné dans une des plus rayonnantes figures de l’histoire. […] Le voilà le lien qui relie les deux apothéoses, celle de Jeanne d’Arc et celle des deux héros de 1759.

Pour servir d’écrin à la statue équestre de Jeanne d’Arc sur les plaines d’Abraham, Louis-Joseph Perron conçoit un jardin de forme rectangulaire de 165 m x 43 m. En adéquation avec les objectifs du parc des Champs-de-Bataille et la justification de la présence de la statue, il allie des inspirations françaises et britanniques : un jardin en contrebas, avec des platebandes mixtes à l’anglaise et d’autres de style classique français. Des ormes américains ornent le tour du jardin. La majorité des plans sont des vivaces, et les plantes sont cultivées dans les serres des plaines d’Abraham, en activité depuis les débuts du parc. 

À l’origine, le plan de Perron prévoit des entrées majestueuses et des plans d’eau entourant la statue dans lesquels elle pourrait se refléter. Finalement, pour des raisons financières, on opte pour un aménagement un peu plus modeste; les entrées sont moins imposantes et les plans d’eau sont remplacés par des roseraies. Durant sa prolifique carrière, Louis-Joseph Perron conçoit plus d’un millier de plans d’aménagement paysager, dont la célèbre roseraie et le jardin des sculptures d’Expo 67 à Montréal. Quant au jardin Jeanne d’Arc des plaines d’Abraham, il a véritablement su saisir la complexité des enjeux pour proposer un jardin qui fait encore aujourd’hui la fierté de la ville de Québec.  

Le jardin Jeanne-d'Arc aujourd'hui

Depuis quelques années, les visiteurs et visiteuses peuvent découvrir le jardin non seulement sous le soleil, mais aussi à la tombée du jour où des atmosphères lumineuses évoluent au rythme des éléments atmosphériques grâce à un système connecté à la station météorologique de Québec. Lors de certains événements calendaires, le jardin prend aussi des couleurs spécifiques associées. Les ormes presque centenaires qui le ceinturent font l'objet d'interventions minutieuses pour les préserver de la maladie hollandaise de l'orme qui cause des ravages sur les spécimens des Plaines. Certains trop atteints ont été abattus et remplacés par des variétés d'orme d'Amérique résistantes à la maladie. 

Le jardin Jeanne-d’Arc est l’endroit des plaines d’Abraham où l’on retrouve le plus grand nombre d’espèces de végétaux différents regroupés : plus de 60 cultivars différents d’annuelles, de vivaces et d’arbustes. L’aménagement y est magnifique en toutes saisons. L’équipe horticole des plaines d’Abraham le transforme selon les variétés les mieux adaptées à chaque saison. Avec les milliers de plantes fournies par les serres de la Commission des champs de bataille nationaux, parmi les plus anciennes encore active au Québec, les horticulteurs pratiquent la mosaïculture un peu partout sur le parc, notamment au pied des principaux monuments, comme la statue de Jeanne d’Arc.

Le jardin continue d’être entretenu avec passion. La statue a fait l’objet d’une restauration minutieuse en 2018 avec l’aide du Centre de conservation du Québec. Des activités pédagogiques y prennent place à plusieurs moments de l’année avec les groupes scolaires et, depuis 2021, le jardin accueille les œuvres d’art populaire de Patrick Lavallée en octobre.  

Aujourd’hui, le jardin Jeanne-d’Arc demeure un lieu de recueillement et d’émerveillement pour la population de Québec et les nombreux touristes qui le visitent quel que soit la saison.