Marie-Josephte Corriveau - De l'histoire à la légende

Un destin lié aux plaines d’Abraham

Le 18 avril 1763, Marie-Josephte Corriveau est pendue sur les plaines d’Abraham. Son nom traverse les époques, ancré dans la mémoire collective.  

Dans cette page :

La vie de Marie-Josephte Corriveau  

Née en 1733, à Saint-Vallier, Marie-Josephte Corriveau se marie une première fois en 1749, à 16 ans, à Charles Bouchard. Il est milicien pendant la guerre de Sept Ans et combat notamment sur les plaines d’Abraham en septembre 1759. De son premier mariage naissent trois enfants : Françoise, Angélique et Charles.   

En avril 1760, Charles Bouchard décède de « fièvres putrides », une façon de décrire, à l’époque, un état contagieux causant souvent la mort, dont les symptômes comprennent une très forte fièvre, des frissons et une accélération du rythme cardiaque. 

Veuve, Marie-Josephte doit assurer l’avenir de sa famille en plus de s’occuper de ses parents. Elle se remarie en 1761 à Louis-Étienne Dodier, propriétaire des terrains voisins des siens. Or, Joseph, le père de Marie-Josephte, et son nouveau mari ne s’entendent pas du tout ; plusieurs altercations se produisent entre les deux hommes.  

Il semble que la relation entre les époux est, elle aussi, mauvaise. En 1762, Marie-Josephte s’enfuit de la maison pour se réfugier chez son oncle. Elle est forcée de retourner au domicile familial par le major Abercrombie, officier militaire en charge de l’ordre dans la région. Les habitants de Saint-Vallier, ainsi que les autorités britanniques, sont bien au courant des tensions qui existent entre Dodier et Marie-Josephte, ainsi qu’entre Dodier et Joseph.   

Le 27 janvier 1763, Louis-Étienne Dodier est retrouvé sans vie dans son écurie. On rédige rapidement un rapport, avec témoins, établissant que des ruades de cheval sont la cause de la mort. Il est enterré le jour même avec l’accord du major Abercrombie.   

Comme on peut l’imaginer, cet événement fait beaucoup jaser à Saint-Vallier. Dodier a été inhumé très vite, sans exposer le corps du défunt, qui plus est dans un contexte de querelles familiales. Des rumeurs veulent que ce soit Joseph Corriveau ou sa fille qui soit responsable de sa mort.   

Quelques jours plus tard, le frère de Dodier porte plainte pour que justice soit faite, convaincu que des éléments ont été cachés. Le sergent Alexander Fraser informe aussi Abercrombie qu’il s’est rendu à la grange le matin du 27 janvier, et que les blessures qu’il a aperçues au visage du défunt n’auraient pas pu avoir été faites par des ruades de cheval. Abercrombie en avise le gouverneur Murray, qui ordonne d’exhumer le corps. Une autopsie confirme l’information.   

Joseph Corriveau et sa fille Marie-Josephte sont arrêtés par les autorités britanniques pour être détenus à Québec.  

Marie-Josephte Corriveau arrivant en courant, bouleversée, pour raconter aux voisins qu'elle a retrouvé le corps de son premier mari, Charles Bouchard, mort dans son lit. Illustration : Edmon-Joseph Massicotte

Les procès devant cour martiale  

Le territoire de la province de Québec est sous le régime militaire britannique depuis 1760. C’est dans ce contexte que se déroule le procès. La nouvelle de la signature du traité de Paris, signé le 19 février 1763, cédant officiellement la Nouvelle-France aux Britanniques, n’arrive qu’en mai.  

La ville de Québec ayant été largement détruite par les bombardements des dernières années, le procès de Marie-Josephte Corriveau se déroule au couvent des Ursulines, du 29 mars au 6 avril 1763, devant une cour martiale dont les membres ont possiblement une compréhension limitée du français. Il n’existe aucune preuve qu’une traduction des témoignages ait eu lieu durant le procès.    

  • 2 accusés
  • 12 juges-officiers anglais
  • 25 témoins

Les deux accusés, Marie-Josephte et son père, sont défendus par l’avocat Jean-Antoine Saillant. Un fait nouveau puisque, sous le régime français, les accusés n’avaient pas le droit d’être représentés. Plusieurs témoins sont entendus, dont les deux filles de Marie-Josephte. Le curé Blondeau et le capitaine de milice Jacques Corriveau laissent entendre avoir voulu protéger l’honneur de la famille Corriveau en identifiant au rapport une mort accidentelle. Les témoignages permettent aussi d’apprendre que Dodier avait 4 blessures, à égale distance, au visage.  

Le 9 avril, le verdict est prononcé. Joseph Corriveau est condamné à mort pour le meurtre de son gendre, Louis Dodier. Sa fille est accusée de complicité. L’exécution de la sentence est prévue le 15 avril.  

Extrait du jugement prononcé le 9 avril 1763 [Traduction]
La Cour est également d’avis que Marie Josephe Corriveaux […] est coupable d’avoir eu connaissance dudit meurtre, et la condamne donc à recevoir soixante coups de chat à neuf queues sur son dos nu […] et à être marquée au fer rouge de la lettre M [pour « meurtrière »] à la main gauche. 

Comme il est d’usage, on permet à Joseph Corriveau de se confesser avant son exécution. Il mentionne au Jésuite Glapion avoir voulu sauver la vie de sa fille en se laissant condamner. Il est pris de remords et craint ne pas avoir sa place au paradis. Il pointe Marie-Josephte comme seule coupable. Mis au fait de ces confessions, Murray ordonne un second procès, qui débute le 15 avril; le verdict est prononcé le jour même. Le père est innocenté. Entre-temps, Marie-Josephte aurait fait des aveux; elle plaide coupable.  

Extrait des notes de la cour martiale, le 15 avril 1763 [Traduction]
La veuve Dodier Marie Joseph Corriveau déclare qu’elle l’a fait avec une hachette, qu’elle n’a été ni conseillée ni aidée, et que personne n’en a eu connaissance ; elle ajoute que c’est en grande partie à cause des mauvais traitements infligés à son mari qu’elle s’est rendue coupable de ce crime.

Pendaison sur les Plaines

Le 18 avril 1763, Marie-Josephte Corriveau quitte la prison de la Redoute Royale pour être pendue à l’endroit qu’on appelle les Buttes-à-Nepveu, près de l’actuel Musée des plaines d’Abraham. De nombreux curieux assistent certainement à l’événement, comme à toutes les exécutions publiques à l’époque.  

Conformément aux ordres donnés par la gouverneur Murray, son corps sans vie est ensuite installé dans une cage de fer construite à sa taille, puis traverse le fleuve vers la pointe Lévy pour être exposé dans un lieu très passant, accroché à une potence. Elle y demeurera pendant plus d’un mois.   

Dans la province de Québec, cette peine est du jamais vu. Cette condamnation est cependant plus commune dans les territoires anglais, surtout dans les décennies précédentes. L’augmentation de la criminalité avait encouragé les autorités britanniques à donner des peines plus sévères. Cette punition doit servir d’exemple et inspirer la crainte, et c’est pourquoi elle est faite publiquement. Elle se veut aussi dissuasive car elle empêche de réaliser les rites religieux habituels, le corps n’étant habituellement pas remis à la famille.    

Le 25 mai 1763, la nouvelle de la fin de la guerre est arrivée à Québec. « La paix étant faite », le gouverneur Murray autorise le retrait de la cage. Marie-Josephte Corriveau est enterrée dans sa cage, près de l’église de Saint-Joseph de la Pointe-Lévy.  

Gibet utilisé à Saint-Vallier, près de Québec, en 1763, pour exposer le corps de Mme Dodier, pendue pour le meurtre de son mari. 
Extrait des notes de la cour martiale du 15 avril 1763 [Traduction]
La Cour est d’avis que la prisonnière Maria Josepha Corriveaux, dite la veuve Dodier, est coupable du crime qui lui est reproché, et la condamne à souffrir la mort pour ce crime en étant pendue avec des chaînes à l’endroit que le Gouverneur jugera approprié.
Ordre de James Murray, le 25 mai 1763
[…] c’est pourquoi oubliant tout le passé, et voulant faire plaisir […] aux habitants de votre paroisse en particulier, je vous permets par la présente d’ôter le corps de la veuve Dodier de la potence où elle pend à présent et de l’enterrer où bon vous semblera.

La Corriveau devient une légende  

Avec un châtiment si inhabituel, on peut penser que l’histoire de Marie-Josephte Corriveau a marqué les esprits, attisé les peurs et qu’elle est restée dans la tradition orale de la région de la Côte-du-Sud pendant les décennies qui ont suivi.   

C’est au moment où l’on retrouve accidentellement la cage, vers 1850, que l’histoire de Marie-Josephte Corriveau, la veuve Dodier, fait couler beaucoup d'encre. L’auteur Louis-Honoré Fréchette contribuera à la faire connaître en affirmant avoir été témoin du moment où on l’a déterrée près de l’église Saint-Joseph.  

La cage devient objet de curiosité. Elle est exposée en différents lieux, notamment à Montréal et à Québec. Pour attirer des visiteurs, les encarts des journaux ne manquent pas de donner des détails croustillants sans trop d’égard à leur véracité historique. Déjà dans le journal La Minerve en 1851, son histoire s’éloigne de la réalité. Elle aurait tué deux maris en leur versant du plomb dans l’oreille, alors que Dodier aurait été étranglé, puis tué à coup de marteau avant de lui percer le crâne avec une fourche de fer. La Corriveau, dans les journaux et les livres, devient légende. Les maris se multiplient. On dit qu’elle les empoisonnait. L’histoire de La Corriveau, une sorcière, intéresse bien au-delà des limites de la Côte-du-Sud.  

François Dubé aux prises avec « La Corriveau ». Illustration : Henri Julien
La Gazette de Joliette, le 4 avril 1872
Parmi les légendes qui se racontent au coin du feu, pendant les longues soirées d’hiver, il en est une célèbre à Lévis. Longtemps, « la cage de fer de la Corriveau » a répandu dans les campagnes une superstitieuse terreur.

La cage séjourne dans quelques lieux aux États-Unis pour finalement se retrouver au Peabody Essex Museum de Salem. En 2011, elle y est repérée par des membres de la Société d’histoire régionale de Lévis. La cage de Marie-Josephte Corriveau est rapatriée au Québec pour être analysée et pour confirmer son authenticité. Elle fait maintenant partie de la collection du Musée de la civilisation.  

250 ans après sa mort, l’histoire de Marie-Josephte Corriveau continue de fasciner. Plusieurs œuvres ont été inspirées de sa légende et de sa vie. Parmi elles, le spectacle théâtral Sur les traces de la Corrivaux a lieu annuellement depuis 2013 dans le village de Saint-Vallier. Cette collaboration entre la Commission des champs de bataille nationaux et la municipalité mobilise des dizaines de figurants et d’acteurs.   

Plus récemment, elle a également été représentée par l’artiste Jérôme Trudelle dans l’exposition Aeria au Musée des plaines d’Abraham de 2022 à 2024.    

Oeuvre de Jérôme Trudelle dans le cadre de l'exposition temporaire Aeria présentée au Musée des plaines d'Abraham en 2023. 

Images : 

  • Massicotte, Edmon-Joseph. Illustration réalisée par Edmond-Joseph Massicotte pour accompagner le conte " Une relique " de Louis Fréchette, publié dans l'Almanach du peuple Beauchemin pour l'année 1913. 1912, Montréal.
  • The Miriam and Ira D. Wallach Division of Art, Prints and Photographs: Photography Collection, The New York Public Library. Gibet utilisé à Saint-Vallier, près de Québec, en 1763, pour exposer le corps de Mme Dodier, pendue pour le meurtre de son mari. 1860 - 1920, The New York Public Library Digital Collections.
  • Julien, Henri. François Dubé aux prises avec « La Corriveau ». Illustration pour une édition de Les Anciens Canadiens de Philippe Aubert de Gaspé, Tiré de : Henri Julien, ''Album'', 1916, Montréal.