Le projet de parc des Champs-de-Bataille
Depuis 1908, les plaines d'Abraham passent d'un site militaire important à un parc public. Découvrons les cinq décennies d'achats et de négociations qui ont mené à la mise en place du parc public verdoyant que l'on connaît aujourd'hui.
Avant 1908
Au 19e siècle, Québec se développe. Alors que la basse-ville est occupée surtout par les ouvriers et les artisans, les marchands, administrateurs et officiers militaires ont, quant à eux, leurs quartiers en haute-ville. Les espaces le long de la Grande Allée sont des emplacements prisés. Cette situation met de la pression pour occuper les terrains près des fortifications de Québec et des plaines d’Abraham.
Les hauteurs de Québec ont depuis longtemps fait partie du système de protection de Québec. On y construit des ouvrages défensifs, des usines d’armes et de munitions et on y aménage des champs de tir en raison du relatif isolement des quartiers résidentiels. Cet usage a préservé les terrains contre la spéculation immobilière et la construction d’habitations. Avec le départ de la garnison britannique en 1871, et l’évolution de l’armement, les installations des Plaines deviennent progressivement désuètes.
Au début au 20e siècle, lorsqu’on parle des plaines d’Abraham, on réfère en fait à une petite portion de ce qu’elles sont aujourd’hui, correspondant à peu près à la zone qui s’étend du domaine Marchmount (aujourd’hui Mérici) jusqu’à la prison commune de Québec (l’actuel pavillon Baillairgé du MNBAQ). L’armée canadienne loue ce terrain des « plaines d’Abraham » aux Ursulines. À la fin du bail en 1902, craignant que la congrégation religieuse ne décide de lotir et vendre le terrain, le gouvernement du Canada en fait l’acquisition. Il en donne l’usage à la ville de Québec, par un bail à très long terme, pour que les citoyens puissent en profiter. C’est d’ailleurs là que se déroulent plusieurs événements des célébrations du tricentenaire de Québec en 1908.
L’idée de créer un parc public en haute-ville est donc déjà présente au tournant du siècle. Dans la foulée de l’organisation des fêtes du tricentenaire, il est proposé de créer un parc dont l’étendue irait des murs de la Citadelle jusqu’à la propriété des Ursulines (domaine Mérici), et qui rejoindrait le monument des Braves, près de la falaise nord et du chemin Sainte-Foy. En plus de protéger cet espace pour permettre de préserver l’histoire du site témoin des batailles entre Français et Britanniques, la création d'un parc donnerait accès à des espaces verts à la population urbaine.
Le gouvernement du Canada adopte la loi créant la Commission des champs de bataille nationaux de Québec le 17 mars 1908. Comme son préambule l'indique, elle donne les coudées franches pour permettre
[...] d’acquérir et de conserver les grands champs de bataille historiques de Québec, de rétablir autant que possible dans les grandes lignes leur physionomie originaire et de les convertir en un parc national [...]
La détermination du maire de Québec, George Garneau, contribuera largement au succès de l’entreprise.
Financer les acquisitions
Le gouverneur général du Canada, Albert Henry George Grey parcourt l’Empire britannique pour amasser des fonds pour le projet de parc des Champs-de-Bataille ; il réussit à récolter 550 000 $. Pour contribuer financièrement à l’acquisition des terrains nécessaires à sa mise en place, le dominion de Nouvelle-Zélande remet notamment un chèque de 1000 $. Même si ces dons peuvent paraître surprenants aujourd’hui, les relations entre l’Empire et ses dominions sont encore très fortes au début du 20e siècle. C’est donc une fierté de participer aux fêtes du tricentenaire et à la création du parc. L’Angleterre et le gouvernement fédéral canadien donnent aussi des sommes importantes, de même que les provinces de Québec et de l’Ontario qui contribue à hauteur de 100 000 $ chacune en échange d’un représentant siégeant à la Commission.
Une fois les fêtes du tricentenaire passées, il faut donc s’atteler à aménager le grand parc urbain promis. La Commission des champs de bataille nationaux doit utiliser les fonds amassés pour acheter les terrains, démolir les nombreux bâtiments qui s’y trouvent, notamment des constructions militaires, et établir un plan d’aménagement, puis le réaliser.
En 1908, le seul terrain que détient la CCBN est l’ancien terrain des Ursulines que le gouvernement fédéral lui a légué. Tout l’espace entre la prison et la Citadelle est encore à acquérir. Il reste beaucoup à faire ! La CCBN engage, en 1909, un architecte paysagiste, Frederic G. Todd, pour réaliser les plans de ce nouveau parc urbain.
1910-1930
Parc des Braves, tour Martello 4, prison et Cove Fields
La Société Saint-Jean-Baptiste, qui possédait le terrain du parc des Braves depuis 1855, le cède à la CCBN en 1910. Il faut relier cette zone à la portion des Plaines plus au sud. La même année, la municipalité de Montcalm (qui ne fait pas partie de la ville de Québec à l’époque), offre à la CCBN le terrain qui deviendra l’avenue des Braves. C’est enfin cette même année que la CCBN acquiert la tour Martello 4 et son terrain, dans le quartier Saint-Jean-Baptiste.
L’acquisition de la prison de Québec et ses terrains doivent être négociés avec le gouvernement du Québec ; une entente est conclue en 1911. Par la suite, plusieurs interlocuteurs devront être convaincus de céder leurs propriétés : des maisons privées se trouvent dans les espaces convoités près du parc des Braves et le long de l’avenue menant au monument Wolfe. Les négociations avec les propriétaires sont difficiles et certaines se soldent même par une fixation de prix devant les tribunaux.
De 1912 à 1926, la CCBN négocie avec les Ursulines pour obtenir les terrains qui permettront de tracer une avenue pour prolonger la côte Gilmour et relier l’Anse-au-Foulon et le chemin Saint-Louis (c’est aujourd’hui l’avenue De Laune). Les terrains entourant la côte Gilmour deviendront quant à eux propriété de la CCBN en 1947.
Aux pieds de la Citadelle se trouve un terrain communément appelé les Cove Fields en raison de sa forme qui rappelle celle d’une anse. Ce terrain est occupé par l’Arsenal fédéral, une cartoucherie où sont fabriquées les munitions utilisées par les soldats canadiens. Même s’il est la propriété du gouvernement canadien, cet espace n’est pas gagné. La Première Guerre mondiale, notamment, rend le ministère de la Milice (maintenant Défense nationale) frileux à l’idée de céder le terrain. Il le fait finalement en 1928.
1930-1955
La crise économique donne un nouveau souffle
Les acquisitions, de même que les travaux d’aménagement ont été ralentis par les deux guerres mondiales. En 1930, même si la loi créant le parc des Champs-de-Bataille est adoptée depuis 22 ans, les plaines d’Abraham ne sont pas aussi verdoyantes et paisibles que celles qu’on connait aujourd’hui. Les plans de l’époque le prouvent : plusieurs bâtiments y sont encore identifiés, comme l’usine Ross Riffle et un lot appartenant à la congrégation religieuse des Dominicains.
En 1936, la CCBN acquiert les tours Martello 1 et 2. La tour Martello 1 servait jusque-là de château d’eau pour l’usine de fusils Ross Rifle. Il faudra encore deux décennies pour que s’achève le plan imaginé par Todd avec quelques ajouts.
Derrière l’actuel Musée des plaines d’Abraham, les bâtiments des Cove Fields ont servi tour à tour de baraques militaires, de camps de prisonniers, puis de logements pour 120 familles à partir de 1945. C’est finalement en 1951 que s’achève l’aménagement du parc avec la démolition de ces habitations.
- 108 Hectares
- 266 Acres
Depuis les années 1950, les arbres que Todd avait souhaité voir sur les plaines d’Abraham ont bien poussés. Une chose est certaine, les efforts en valaient la peine. Aujourd’hui, le parc des Champs-de-Bataille accueille près de 4 millions de visiteurs annuellement, qui peuvent profiter de cette oasis de nature en plein cœur du centre-ville.
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Habitation des Cove Fields : une collecte de témoignages fructueuse
En 1945, la ville de Québec fait face à une grave pénurie de logements et plus d’une centaine de familles doivent s’installer dans d’anciennes baraques militaires sur les plaines d’Abraham. Ce secteur est alors appelé les Cove Fields.
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